Roman de Pierre GRASSET.                                                                                            Préface de G. Tuaillon.                                                                                                      Tome IV de la série Les Contes fantastiques de Savoie.

LE FANTÔME DU BÂTRÔ 

LE SARVAN DU BÂTRÔ. 

 L’histoire se passe en 1859, à la veille de l’annexionLe sarvan du Bâtrô de la Savoie à la France. Pierre Rojon, fabricant d’allumettes de son état, contrebandier à ses heures et célibataire endurcit, fait la rencontre de la belle Sophie.   










                               

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Deux extraits sont disponibles à la lecture :

  • La rencontre entre Pierre et Sophie [page 15] (en français) :

 Avec la Sophie, tout avait commencé au marché des Granges, à Saint-Clair. Ce jour-là, comme à l’accoutumée, il y avait beaucoup de monde. Tous les maquignons étaient attirés par la foire aux animaux. Certains achetaient, d’autres se contentaient de « renifler ». Un paquet de carottes rouges était tombé du panier de la jeune femme qui était devant lui. Il s’était baissé pour le ramasser, elle aussi. Ils s’étaient trouvés nez à nez, surpris tous deux d’être face à face et de sentir le souffle leur manquer. Deux grands yeux bleus plongeaient dans les siens, le scrutaient, le fouillaient. Il avait bredouillé quelques mots. Elle avait souri. Elle s’était relevée, s’était faufilée entre les gens, non sans lui lancer un regard oblique qui lui était allé tout droit au cœur. Lui, il était resté immobile, émerveillé par l’apparition de cette belle femme blonde, habillée de noir, dont les grands yeux bleus l’avaient ébloui et qui s’était envolée comme un rêve…

  • La rencontre entre Pierre et Sophie [page 14] (en savoyard) :

Avoué la Sofi, teut ava kminchè a la farè dle Grinzhe, a Sin-Klyâ. Chô zheu, yava on moué de monde. To lou maknyon vnivan korniflâ a la fare al bétye. Kôkez on ashètâvan, d ôtre nyeflâvan slamin. On lô de pasnaye reuzhe éta tombâ du kavin dla zhuéna fyènè k éta dvan lui. U s éta béchè pe l amâssâ, lya avoué. U s étan trovâ nâ a nâ, seurpra to do d étre in viz a vi é de sinti le seufle lo mankâ. Do grin ju blu plonbâvan yin lou sine, l aguètâvan, le kedvelyévan. Ul ava bredelyè kôkaryin. L ava sorju. Le s éta drèchè, poué s éta karapatâ intre le zhin, teut in lyi balyan on kô d ju d koutyé ke lyi éta modâ dra fi u keu. Lui, ul éta rèstâ plante, émarvelyè pe sla brâva fyènê byondè, ablyè de né, avoué de grin ju blu ke l avan inborlyi é ke s éta évani mon on réve…

  • Le retour de Solférino [pages 205 et 207] (en français) :

(Les guerres d’Italie sont à peine terminées. Le jeune « Glaude », blessé près de Solférino et amoureux de la Sophie, lui  raconte un épisode de guerre dans la brigade de Savoie.)

C’était à la Madona della Scoperta !… Un village au bout des collines, de l’autre côté des montagnes de Solferino. On était commandé par le colonel Roland, de Villard-Sallet. Les brigadiers sardes s’étaient fait étriller par les Autrichiens et on arrivait pour porter mains fortes ! Tu parles !… s’exclama-t-il avec dérision.

Il passa une main sur son front, puis, regardant au loin, il poursuivit avec effort :

– On montait en rangs serrés contre les brigades Koller et Gaal. Fallait pas traîner. Les officiers, derrière, sabraient les traîne-cul. Y avait un bruit d’enfer ! Une fumée noire piquait les yeux, ça puait la poudre. Fusils, canons, grenades, ça pétait de partout, ça gueulait, ça hurlait de tous les côtés. Les obus faisaient des trous dans les rangs, comme des « andins de dailles» dans les blés.

Le Glaude, les yeux hagards, remuait ses bras, agitait sa jambe valide. Il se remonta sur les oreillers, souffla de dépit.

– Un coup de fusil a fait valser le képi de not’capitaine. Ça l’a rendu furieux. I s’est dressé, sabre au clair : « En avant ! En avant ! » qu’il a hurlé. Un deuxième coup lui a fermé l’bec pour toujours. « En avant ! En avant ! » a repris le sergent. On allait de l’avant, la tête rentrée dans les épaules, les mains crispées sur le fusil. On avançait, on avançait !…

Le Glaude serrait les poings comme s’il tenait sa baïonnette, serrait les dents, dardait un regard dur, droit devant lui.

– J’étais plus qu’à deux rangées d’hommes avant l’ennemi. Ça se battait, ça se battait ! Sabres, lances, baïonnettes, poignards, hurlements, giclées de sang. Tout d’un coup devant moi, un grand diable blanc, la bouche ouverte, les yeux fous ! J’y enfonce ma baïonnette, i tombe plié en deux. Un autre arrive. Coup de crosse. Je vois des chandelles ! J’enfonce ma baïonnette. Je sens une brûlure dans ma cuisse. Ma jambe me porte plus. Je tombe avec l’autrichien qui gueule comme un veau.

Le brigadier revivait son combat, mimait, frappait. La sueur perla sur son front. Il tint sa jambe blessée à deux mains comme il l’avait fait en recevant sa blessure.

– J’me traîne par terre. J’me tire en arrière. Je roule dans les pieds des copains, pour me sauver. I me laissent pas passer, me poussent en avant. Le canon en fauche trois ou quatre. I tombent autour de moi. Je gueule, je me tire, je rampe vers l’arrière. Surtout me sauver, me sauver de là !

Toute tremblante, la Sophie écoutait, le coeur battant. Le Glaude, enfiévré, le regard perdu, poursuivit avec fureur.

– Un coup de tonnerre, je suis soulevé en l’air. J’retombe dans la terre noire avec des types sur le dos. Je suis tout aspergé de sang. Je dégueule tout ce que j’ai dans l’ventre. Je peux plus bouger. Du sang m’coule dans le cou. Je gueule, tellement j’ai peur. Y en a qui râlent, d’autres qui braillent. Près de mon oreille, y en a un qui appelle sa mère. Puis sa voix gargouille, se tait. Je peux pas bouger, j’étouffe à moitié. Autour, ça s’étripe, ça se tue. Les morts que j’ai sur le dos prennent des coups, je sens les secousses. On nous marche dessus, on nous piétine. Une chaussure m’érafle la tête. J’ai la bouche dans la boue, je crache, je tousse. Un sabot de cheval s’enfonce juste devant mon nez. Un moment après je vois le cheval tomber, le ventre ouvert, les cuisses éclatées ! J’peux rien faire. Obligé de rester là, couché, à moitié écrasé. Je finis par me trouver bien sous mon tas de morts. I me sauvent la vie !…

Le Glaude s’essuya le visage d’un revers de manche. Il pleurait. Il s’étira, poussa un grand soupir et reprit, d’une voix apaisée :

– Quand ça s’est calmé, le soir, i sont venu ramasser les blessés. J’ai encore eu une belle frousse…

  • Le retour de Solférino [page 206] (en savoyard) :

On kô de tounére, de si shanpâ in l è. De rtonbe dyin la tèra narè avoué dez eume su la râtélè. De si dyoule de san. De rake teu sin ke d é dyin le vintre. De pouéche plu buzhé. Le san me koule dyin le kolin. De brame, télamin d é po. Yin a ke râlan, d ôtre ke shapitôlan. Kontre mon oureulye, yin a yon ke kire apré sa mârè. Poué la voué gargôlye, se kéje. De pouéche pâ buzhé, de si sofokâ a matyè. Uteur i s étripaye, i se tuè. Lou mo ke d é su la râtélè prenyan de kô, de sintye lou sguin. On nze môde dessu, on nze trepenye. On-na shôsmintè me râklye la tétè. D é la boshe dyin la patyokè, de krashe, de karkaye. On pyé de shvô se kile juste dvan mon nâ. On momin d apré, de véye le shvô tonbâ, le vintre uvè, le kouésse éketrâ ! De pouéche ryin fâre. Forchè de rèstâ itye, étulyè, matyè ékrafanyè. De shanvasse pe me trovâ a la pârè dzeu mon moué de mo. U me sôvan la vyè.

Le Glyôde s é panâ la fgueurè d on-na rvriyè. U plorâve. U s ét étulyè, a triyè on grin seufle é a rpra d on-na voué pe dossè :

– Kint i s é rbetâ a plan, le vépre, u son vnu amâssâ lou blèchè. D é onko ayo on-na brâva po…