Il ne faut pas conceptualiser l’arpitan comme une langue évoluant en parallèle du français, de l’italien ou même de toutes les autres langues sans qu’elles n’interagissent. C’est d’ailleurs tout l’inverse. C’est cette interaction qui a aboutit à sa création et à sa situation contemporaine. Toute une réflexion doit être apportée pour déterminer la place future de l’arpitan face aux autres langues et la néologie doit être orientée en ce sens. Que nous imitions ces autres langues ou bien que nous en rejetions certains fonctionnements tant linguistiques que sociaux.
Acrolecte et basilecte
Un acrolecte en dialectologie est une variété prestigieuse de la langue, à l’échelle du français ce pourrait être le français des académiciens par exemple. Un basilecte, à l’inverse, est une variété considérée comme vulgaire, populaire, dépréciée par l’élite culturelle hégémonique. Le français est l’arpitan ont été considérés comme deux langues distinctes. Mais ces langues furent utilisées dans le même espace linguistique et dans certains cas par les mêmes locuteurs. Une dichotomie sociale importante s’installant, il n’est pas aberrant de considérer que le français fut en Arpitanie un acrolecte, là où l’arpitan en devint un basilecte, la noblesse parlant le français et en faisant la promotion, la bourgeoisie suivant ensuite ce chemin pour régler bon nombre d’affaires administratives. Quant à l’arpitan, il semblerait qu’il est avant tout été utilisé en tant que vernaculaire (langue de communication orale), parfois en tant qu’outil artistique (et souvent dans le cadre de la satire politique) et très anciennement en tant que langue administrative (on en retrouve quelques rares documents au moyen-âge).
Visiblement, l’action à l’ILS ne vise pas à conserver l’arpitan en tant que basilecte, mais à le faire émerger en tant que langue régionale respectée et peut-être plus, ne nous enfermons pas dans un statut restrictif. Toujours est-il qu’avoir été un basilecte marque profondément le rapport social entretenu par les locuteurs envers cette langue. Les emprunts au français populaire Un fait marquant déjà bien ancré dans la néologie du début du XXIème siècle est l’impacte du français populaire. F. Monod nous avait par exemple rapporté l’utilisation du néologisme bouèta a images (« boîte à image ») pour désigner la télévision. Moi-même, j’ai pu constater que G. Girard, dans son lexique du patois de la Côte d’Aime, avait exclus l’utilisation de la première personne du pluriel nos y préférant le on, alors que je peux vous assurer, en tant que locuteur du patois coterain l’ayant appris auprès d’autres individus que le nos est tout à fait présent. Ainsi, le basilecte français vient comme abreuver la néologie des patoisants, qui semblent y trouver quelque-chose de tout à fait naturel.
Que faire de cela ? D’un côté cette pratique va à l’encontre de la volonté exprimée à l’ILS de ne pas faire de l’arpitan un basilecte à l’application restreinte des domaines vernaculaires et satiriques, d’un autre les emprunts au français se multiplient. Mais vouloir effacer l’impacte du vulgaire sur la langue, ne serait-ce pas la dénaturer ? Je laisse aussi cette question en suspend, car ce sera un débat long que nous devrons mener ensemble.
Toujours est-il que je recommanderais de ne pas renier ce genre d’emprunt, mais de ne pas non plus limiter l’arpitan à cela. Il serait bon de mener un travail sur les styles et les registres de langage en arpitan afin de catégoriser les néologismes.
L’arpitan et les langues régionalisées
Nous nous tournons souvent vers les « grandes langues » pour notre néologie : le français, l’italien, le latin, le grec, peut-être l’anglais. Mais il ne faut pas négliger les langues régionalisées qui peuvent sans doute nous apporter beaucoup quant à leurs réallias. Par exemple pour le mot « volcan », ne vaudrait-il mieux pas l’emprunter à l’occitan auvergnat qu’au français ? 1. Ils sont nos voisins directes et possèdent des volcans sur leur territoire ; 2. Les formes qu’ils possèdent sont plus proches de l’arpitan que ne le sont les formes françaises : Vorcan pourrait être une lexie indistingable du reste du vocabulaire, alors que volcan ferait un peu tâche.
La toponymie
Une grande question de toponymie se pose lorsque nous quittons les frontières de l’Arpitanie : à quelle langue emprunter le toponyme s’il n’est pas déjà présent en arpitan ? Il est habituel en français d’emprunter le toponyme à la langue officielle du pays. Mais dans la néologie occitane contemporaine, il est fréquent de prioriser les autres langues régionalisées. Je recommanderais donc pour une toponymie au sein de l’Etat français, de sélectionner en priorité les toponymes au sein des langues régionales locales, quit à les adapter à l’arpitan. En dehors de la france, la question est plus complexe. Sans surprise, je recommande d’emprunter les toponymes dans les multiples langues présentent sur le territoire et de débattre quant aux lexies qu’il faut prioriser.
Le français et l’arpitan
Une attention doit être apportée à un fait contemporain : Nous produisons un matériel majoritairement à destination de néolocuteurs francophones. Dans ce cadre-ci, nous sommes en concurrence avec la langue française, une concurrence tout à fait mesurable au temps passé pour chaque locuteur à pratiquer le français ou l’arpitan.
Dans ce cadre-ci j’aimerais alerter sur ce qui me semble être un mauvais chemin, celui de vouloir imiter le fonctionnement de la langue française. On pourrait être tenté de prioriser les emprunts au français, ils sont plus faciles à apprendre pour les néolocuteurs. Mais nous souffririons alors d’un appauvrissement de la langue et de la perte de son originalité. Je ne pense pas que la majorité des néolocuteurs apprennent l’Arpitan pour sa facilité, mais bien plus pour ses spécificités propres. Alors je pense que nous devrions entreprendre une néologie qui donnera à l’arpitan une forme bien distincte du français.