Les parlers, ou patois savoyards, font partie du grand ensemble d’une langue dialectale appelée arpitan, francoprovençal ou encore savoyard en Savoie.

La naissance d’une langue gallo-romane

Après la conquête romaine, Lugdunum (Lyon) est devenu la métropole de l’ensemble du pays et capitale de la Provincia Lugdunensis (ou Lyonnaise), une des quatre grandes provinces de la Gaule. Le rôle décisif dans la latinisation de la Gaule a été joué par les villes. En tant que marchés, ces villes attiraient des commerçants d’origines linguistiques de plus diverse, si bien que le latin se trouva un rôle particulier en tant que lingua franca. Le latin s’est donc diffusé en Savoie à partir de Lyon: Il est devenu langue officielle de l’administration et de l’élite politique et sociale. Notre langue vient donc du latin, mais il a conservé quelques traces du gaulois qui était parlé précédemment.

Aussi en Sapaudia, le latin a-t-il conservé sa fonction de langue écrite, tandis qu’un nouvel idiome gallo-romain, était la langue parlée. L’idée que le roman (parlé) et le latin (écrit) seraient deux langues différentes a dû se former dans la société vers le début du IXe siècle. L’originalité de cette langue, par rapport à ses voisines, les langues d’oïl et les langues d’oc, tient à sa phonétique particulière, née de son propre histoire.

Vers l’an mille commence la domination d’une famille noble burgonde : celle des comtes de Savoie. « Seigneurs des passages alpins », ils deviennent ducs de Savoie à partir de 1416; puis rois de Sicile à partir de 1712; rois de Sardaigne à partir de 1720, et enfin rois d’Italie depuis la création de l’État-Nation italien en 1861 jusqu’au 1946. Les rois des États de Savoie n’ont jamais estimé nécessaire de faire du savoyard une langue administrative officielle, ni de créer une Académie de la langue savoyarde pour donner du prestige à la langue du peuple savoyard. Ils n’avaient pas la connaissance nécessaire pour comprendre que la langue vernaculaire des savoyards était une langue gallo-romane à part entière, et le choix s’est donc porté sur la langue française, qui jouissait d’un certain prestige dans les hautes sphères européennes.

C’est seulement en 1874 que notre langue a été “découverte” quand le linguiste italien Graziadio Isaia Ascoli propose d’ajouter à la distinction classique langue d’oïl (français) vs langue d’oc (provençal) un type linguistique de transition qu’il a nommé « franco-provençal ». À partir de ce moment, le « franco-provençal » est une langue à part entière, dont les spécificités et les frontières n’ont été définies qu’au courant du XXe siècle, ce qui explique qu’elle soit si mal connue.

Néanmoins, le nom « franco-provençal » est considéré comme peu clair et malheureux pour sa propre identité et son développement, et d’autres dénominations pour la langue apparaissent depuis, dont l’autonyme « arpitan » qui a été suggéré par des locuteurs dans les années 1970 et qui a depuis gagné une grande popularité en tant que synonyme. Pour des raisons identitaires, historiques, sociales et culturelles, l’arpitan tel qu’il est parlé en Savoie est le plus souvent et simplement appelé « savoyard ». C’est la variété de cette langue la plus parlée en France. D’autres variétés de l’arpitan bien connues sont le « valdôtain » dans la Vallée d’Aoste ou le « romand » en Suisse.

La « Langue Savoyarde » : le franco-provençal de Savoie

Bien que la langue ne soit reconnue par la linguistique qu’en 1874 et que le Roi des États de Savoie n’ait jamais eu de projet en faveur d’une langue savoyarde, il existe des initiatives populaires d’écrivains, des poètes et des savants qui écrivent depuis le XVIe siècle en « langue savoisienne », ou « langue savoyarde ». Même lorsque la Savoie a été annexée par la France en 1860 et qu’elle a perduré dans deux départements français (la Savoie et la Haute-Savoie), la volonté de cultiver le patrimoine linguistique est restée. L’amour de sa terre, après tout, s’exprimait dans la langue du terroir.

Bien que l’aire linguistique arpitan soit plus vaste que la région de la Savoie, il existe un désir de travailler ensemble au sein de la Savoie pour des raisons culturelles et historiques.

Le « Dictionnaire savoyard », publié en 1902 par A. Constantin et J. Désormaux, a connu, en particulier, un grand succès. Dans ce dictionnaire, plusieurs mots attestés dans différents patois de différentes vallées et villages ont été notés dans la même graphie et présentés sous le nom savoyard. Ce dictionnaire, ainsi que les travaux de l’école littéraire de Rumilly, auraient pu jeter les bases d’une langue savoyarde écrite, qui était facile à lire et qui pourrait répondre aux besoins culturels et sociaux des savoyards.

Néanmoins, la seconde moitié du XXe siècle a vu l’émergence des dialectologues, qui ont impliqué des locuteurs dans leurs travaux. Au lieu d’observer leur objet d’étude, ils ont influencé les patoisants et la perception de la langue en insistant énormément sur les différences entre les différents patois et en introduisant une graphie semi-phonétique qui ne tenait pas compte des graphies traditionnelles savoyardes, mais qui se sert des conventions graphiques de la langue française.

Cependant, si l’approche dialectologique n’a pas permis de normaliser la langue et de faire du savoyard une langue culturelle, ces travaux dialectologiques ont, en revanche, donné de nombreuses informations nouvelles et des travaux intéressants. Un ouvrage très apprécié est le « Dictionnaire Français – Savoyard » de Roger Viret, dont la première édition est parue en 2006 et qui fournit de nombreuses informations dialectologiques sur les différents patois savoyards. À la suite de ces travaux et études dialectologiques sont nées des synthèses, qui proposaient à la fois une langue parlée et une langue écrite pour le savoyard.

C’est à partir de 1998 qu’est apparue la première proposition d’une orthographe globalisante et normalisée, faite par le Dr. Dominique Stich, pour laquelle plusieurs linguistes et savants ont depuis proposé des améliorations. Cette orthographe est basée sur le latin, les langues romanes et sur les écritures et travaux traditionnels des écrivains et poètes qui ont écrit dans les variétés arpitanes/francoprovençales.

Louis Terreaux, président de l’Académie de Savoie, avait proposé en 2001 une langue savoyarde parlée (aussi appelée savoyard médian), provenant des différents patois, à des fins éducatives. Il a été assisté dans cette tâche par Marc Bron et Olivier Frutiger. En 2004, un dictionnaire de poche « Savoyârd – Francês » a été réalisé par Alain Favre et Dominique Stich, qui utilise à la fois l’orthographe normalisée accompagnée d’une prononciation en savoyard médian.

Un Institut pour la langue savoyarde

L’ Institut de la Langue Savoyarde a été créé le 25 juillet 2005. L’Institut s’occupe de l’orthographe, des néologismes, du développement de la langue savoyarde et du médian savoyard, ainsi que de la dialectologie et de la poursuite du dictionnaire de Roger Viret. Cependant, la démarche n’est pas d’isoler le savoyard, mais de le développer, pour un public savoyard intéressé par son patrimoine linguistique, sans perdre de vue qu’il fait partie d’une langue francoprovençale/arpitane plus large.

Le savoyard connaît depuis quelques années un regain d’intérêt malgré le déclin croissant de la pratique régulière. Pour enrayer celui-ci, un certain nombre d’initiatives se mettent en place. Un groupe d’enseignants savoyards assure, par ailleurs, un enseignement du francoprovençal à l’école, au collège et au lycée.

Depuis le 16 décembre 2021, le francoprovençal (et donc le savoyard en tant que variété) est une langue régionale officiellement enseignable en France, dans tous les établissements scolaires se trouvant dans l’aire linguistique arpitane.