Je pense bien évidemment que tout le monde est libre de produire ses propres néologismes en savoyard, quels qu’ils soient. Toutefois, cela pose la question de la propriété culturelle. A qui appartient la langue ? Loin de mois l’envie d’entrer dans une quelconque vision nationaliste à considérer que la langue appartiendrait aux savoyards de sang pouvant certifier qu’ils aient sept générations enterrées au cimetière communal, ni même de considérer qu’il faille résider en Savoie pour en avoir le droit. D’ailleurs je ne pense pas que la plupart des locuteurs le conçoivent de la sorte, le nationalisme savoisien n’ayant qu’une influence légère sur les mondes patoisant et arpitan et étant presque absent du monde francoprovençaliste.

Je pense cela dit que le monde patoisant possède un grand attachement aux patois et qu’un sentiment de propriété y existe probablement. Le patois est l’unité de langue qui a été réinterprétée par les locuteurs depuis la fin du XIXème siècle jusqu’au début du XXème. En linguistique on pourrait parler de dialecte, ou plus précisément de topolecte, c’est-à-dire de variante locale. Contrairement à la croyance populaire française qui veut que le patois ne soit pas une langue écrite et n’aurait pas de règles déterminées tant sur le lexique que la grammaire, j’avancerais que c’est tout le contraire. Par l’action des scientifiques, de linguistes professionnels et amateurs, les patois possèdent pléthore de dictionnaires et pléthore de grammaires. Les limites d’action des patois sont souvent faites à partir des limites communales.

La définition même des patois peut être remise en cause. C’est le cas chez Louis Gauchat dans « Unité phonétique dans le patois d’une commune » (1905. Halle A.D.S) ou ce dernier rappelle les difficultés de terrain que peut rencontrer le collecteur face aux collectés, les erreurs pouvant s’accumuler et faire apparaître des traits distinctifs entre patois là où il n’y en avait pas.

Ceci étant dit, nous n’étudions plus les patois comme au XIXème siècle et il faut en avoir conscience. Les collectes ne sont que rarement organisées au sein de locuteurs ayant une approche passive de la langue, bien au contraire, ce sont des locuteurs actifs, se basant sur des dictionnaires formés par des années de recherche scientifiques, ayant peut-être accumulés des erreurs faisant de grandes distinctions entre les patois. Ces patoisants ont donc une vision fixe de leur patois comme unité de langue et fournissent souvent eux-mêmes des matériaux au monde de la recherche. Ils produisent des grammaires et des lexiques, ils ont une activité lexicographique. J’aime personnellement à dire, par métaphore, que chaque patois pourrait être considéré comme une académie amateure, avec son immortel en dictant les règles.

Comment argumenter avec 627 immortels ? Pour moi la réponse est simple, à chacun sa juridiction. Notre action doit avant tout être prise comme une proposition qui sera acceptée entre nous dans le cadre du savoyard médian. Si des patoisants souhaitent adopter ces néologismes dans leurs patois, nous en serons heureux, s’ils ne le souhaitent pas, cela reste un choix qu’ils ont le droit de prendre, s’ils veulent faire les leurs, nous en témoignerons un intérêt certain.

A qui appartient la langue ? A ceux qui la parlent et à ceux qui s’y impliquent. Je ne souhaite pas que nous reproduisions les mêmes erreurs que la langue française a produite en s’imposant. Laissons un maximum de liberté à tout le monde, que tout le monde puisse développer sa variante du savoyard à loisir. Que chacun puisse avoir ses règles.